2020, année covid
Une auxiliaire de santé,
un client et deux enfants
racontent leur quotidien

Barbara Mailefer

Barbara Maillefer (sur la photo avec Jacques Porchet) est auxiliaire de santé depuis dix-huit ans au CMS d’Orbe. Au début, comme beaucoup, elle ne mesure pas la portée et la vitesse de l’épidémie. Devant les chiffres qui explosent et la peur qui monte, elle choisit de ne pas trop écouter les médias et de se protéger. «Je refusais que cela envahisse mon quotidien, que ça tue mon plaisir d’être, de travailler, de vivre.»

Mais le quotidien, ce sont les contacts permanents avec les clients, souvent fragiles, et avec un conjoint qui est une personne dite à risque. «J’ai beaucoup réfléchi aux précautions à prendre. Où laisser le sac? Quand mettre et enlever les chaussons, les gants, la blouse? Que toucher et ne pas toucher? Comment rentrer à la maison sans prendre de risques? J’ai intégré les consignes dans une stratégie personnelle, une logique de terrain immuable, un véritable rituel que je me suis inventé pour ne plus avoir à y penser – et pour évacuer le stress.»

Avec les clients aussi, tout est bouleversé. Certains ne comprennent pas ce qui se passe, interloqués par les masques, les mesures d’hygiène et de distance. Barbara Maillefer souligne: «Dans ce cas, notre mission est d’être nous-mêmes en confiance afin de montrer aux personnes prises en charge que tout est “comme d’habitude”, nous sommes là pour elles, rien n’est changé. C’est devenu plus difficile pendant la deuxième vague car davantage de gens étaient touchés dans leur entourage.»

Si cette deuxième vague suscite moins d’angoisse, elle engendre beaucoup de lassitude. «Ce n’est plus tout-à-fait le même travail. On doit réfléchir au moindre geste et le masque est une barrière à la relation, particulièrement avec des clients qui ont des problèmes cognitifs ou des déficits d’audition. Partager un café, des biscuits est interdit, une partie du lien social et affectif que nous nouons avec eux disparaît. Un jour, contre toutes les recommandations, une dame âgée m’a spontanément prise dans ses bras et serrée contre elle. Je n’ai pas eu le cœur d’empêcher ce geste, qui m’a fait sentir sa souffrance et son immense besoin de contact.»

Jacques Porchet et sa femme Elisabeth

Jacques Porchet (sur la photo avec Barbara Maillefer) a 79 ans. En juillet 2004, il fait une chute toute bête à vélo. Elizabeth, son épouse, se rappelle: «Le temps que j’arrive sur les lieux, l’hélicoptère était déjà là, un ambulancier m’a glissé à l’oreille: la moëlle épinière est sectionnée. Notre vie a basculé.» Coma artificiel, opérations, centre de rééducation. Jacques restera tétraplégique, il apprend à piloter sa chaise avec sa tête, qui est restée mobile.  «Je ne me suis jamais révolté. J’ai eu la chance de prendre une retraite à 57 ans, après une carrière d’agent de sécurité au pénitencier de la Plaine de l’Orbe. Avec mon épouse, on a pu voyager partout en Europe avant l’accident.»

Elisabeth, 76 ans, a été sage-femme à l’hôpital de Payerne. «Il n’y a rien de plus beau que de mettre des enfants au monde. J’ai pourtant décidé d’arrêter à la naissance de notre troisième enfant, Jacques-André. Avec ses sœurs Anne-Laure et Marie-José, ils se sont relayés tous les trois au chevet de leur père pendant sa rééducation. Jacques a reçu des visites tous les week-ends.  Et si nos enfants nous ont soutenus, nos amis aussi. Tous sont restés fidèles.»

Le CMS passe deux fois par jour, le matin et le soir pour l’aide au lever, avec une toilette légère dans le lit, et pour le coucher. Les lundis, mercredis et vendredis, Jacques prend une douche avec l’aide d’une infirmière et d’une assistante. «Elles sont formidables, on les aime toutes, déclarent les deux époux d’une seule voix. Elles font partie de la famille, on est conscients que sans elles, on ne serait rien; elles nous soutiennent aussi par leur sourire et leur gentillesse. Le Covid n’a pas bouleversé notre vie car le CMS s’est très vite organisé et si au mois de mars 2020, les masques manquaient, maintenant le soin se fait avec l’équipement complet, on dirait des cosmonautes» se plaît à raconter Jacques. «Dans notre vie de tous les jours, le plus dur ce sont les restrictions qui nous privent des réunions avec nos amis, reprend Elisabeth, avec un regard attendri vers celui qu’elle a épousé il y a 46 ans. Mais c’est une bénédiction d’être ensemble et notre amour va grandissant, on profite de chaque instant. Ensemble on peut tout.»

Marie et Laura

Sandra Blanchard est infirmière au CMS d’Yverdon. Elle vit à Agiez avec son compagnon et leurs deux filles: Marie, 10 ans, et Laura, 12 ans. Pour cette dernière, l’annonce le 13 mars de la fermeture des écoles est une immense surprise, mais aussi une source d’inquiétude: à la fin de l’année scolaire, elle doit passer en VP, alors que le Département annonce qu’il n’y aura plus de notes. «Je suis finalement passée, mais j’ai l’impression qu’on a admis davantage d’élèves en VP, tous les cas limites ont été acceptés. Je crains qu’il y ait pas mal d’échecs par la suite.»

Marie, quant à elle, doit très vite se responsabiliser, car la maman de jour qui l’accueillait matin, midi et soir ne peut plus garder d’enfants: «J’étais inquiète au début, mais je savais que ma grande sœur serait là. Et mon papa aussi, au moins deux jours par semaine.» En effet, celui-ci est responsable du site informatique d’une fondation, et comme sa compagne travaille dans les soins, son employeur lui a très vite proposé de répartir son temps entre le bureau et la maison.

«Notre maman était très prudente, raconte Marie: en rentrant à midi, elle commençait par se laver les mains et prenait son repas sans nous toucher. Le soir, elle laissait ses habits à l’entrée, prenait une douche et ensuite on avait droit à nos câlins et à nos bisous.» «Nous avons de la chance, renchérit Laura, nos parents sont restés sereins et pour nous éviter un stress inutile, ils ont décidé que nous n’écouterions pas constamment les nouvelles à la TV ou à la radio.»

Sandra conclut: « Pendant la première vague, relativement peu de monde a été touché, c’est plutôt le matériel qui faisait défaut. Lors de la deuxième vague, le phénomène s’est inversé: nous avions tout le matériel nécessaire, mais de nombreux collaborateurs ont été malades ou en quarantaine. J’ai moi-même dû respecter une quarantaine de dix jours: c’est très frustrant de rester à la maison alors que les collègues galèrent.»